Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Attention au chien !
16 septembre 2016

De Claude Monet aux nymphéas de Latour-Marliac

 

Latour Marliac 11-09-2016

Lot-et-Garonne

Le clocher de l'église du Temple-Sur-Lot depuis Latour-Marliac

11 septembre 2016

 

            J'ai rencontré Claude Monet la première fois il y a huit ans lors d'un voyage en Normandie. Pour ceux qui prétendraient qu'en 2008, le célèbre peintre était mort depuis déjà belle lurette, je répondrais qu'il en est pourtant ainsi et que c'était bien lui.

           Les cousins à qui j'étais venue rendre visite n'avaient finalement guère de temps à me consacrer. On m'avait emmenée voir Honfleur et ses bateaux sur l'eau, le pont de Normandie qui enjambe majestueusement l'estuaire de la Seine et Etretat. Pour le reste je dois avouer que je restais un peu sur ma faim. Un jour qu'il faisait beau, n'en pouvant plus de tourner en rond dans le plus complet désœuvrement, je décidai de descendre à pied des hauteurs de Sainte-Adresse jusqu'à la plage. Ce n'est que lorsque je sortis de l'eau qui frisait à peine les dix-sept degrés que je l'aperçus. Il était en plein travail et ne me remarqua pas. Il recouvrait une toile blanche de taches de couleur à larges coups de pinceau. Grelottant dans ma serviette trempée, je restai d'abord un long moment à l'observer sans oser m'approcher. Puis enfin, surmontant ma timidité, je vins m'asseoir à quelques pas de lui. C'est à peine s'il me regarda. La lumière changea, déclina et il s'arrêta de peindre. Comme il remballait tout son barda, je me hasardai à lui demander s'il procédait de la même manière pour ses fameux nymphéas. Il me jeta un regard apitoyé et me déclara sèchement qu'il ne voyait pas à quoi je faisais allusion. Je compris alors qu'il ne les avait pas encore peints. Question de chronologie.

           L'année suivante, alors que je flânais dans les salles de la Tate Modern de Londres, je le trouvai planté devant un de ses nymphéas. Il n'y avait personne à part nous.

          Alors, me fit-il, vous en pensez quoi au juste ?

        J'étais drôlement ennuyée parce qu'en la vérité, j'étais vraiment déçue. Je trouvais les couleurs pisseuses, vaguement orangeâtres et pour tout dire carrément très moches.

         Ce n'est pas facile de dire à quelqu'un comme Monet que vous trouvez son tableau pas si terrible que ça mais je me souvins de ses problèmes de cataractes et d'opération qui avaient un peu modifié son appréhension des couleurs. En plus, il devait bien avoir vingt ou trente ans de plus que l'année précédente et je répugnais à blesser un vieil homme. J'avançai donc un très lâche « ce n'est pas celui que je préfère » qui eut le don de l'agacer ou c'est du moins ainsi que j’interprétai le léger frémissement qui parcourut son visage. Il haussa les épaules et sans même me saluer il disparut au détour d'un couloir en faisant gémir le revêtement du sol sous ses pas.

         Je gardai toute cette affaire pour moi car la plupart des gens sont capables de gober n'importe quel truc débile qu'ils ont vu à la télévision ou sur internet mais absolument pas que j'ai rencontré le grand Claude Monet ni que j'ai un chien qui parle (trop). Je me promis toutefois d'aller visiter lors d'un prochain séjour en Normandie, le jardin de Giverny et de faire un détour par le musée de l'orangerie à Paris pour y admirer d'autres nymphéas.

         C'est tout à fait par hasard que j'appris il y a peu, que le taciturne artiste commandait tous les nymphéas des bassins de sa maison de Giverny à Latour-Marliac au Temple-Sur-Lot. Mon incommensurable ignorance m'emplit de honte et je profitai d'une radieuse matinée de fin d'été pour visiter les lieux distants d'à peine plus de dix kilomètres de ma sous-préfecture préférée.

         La lumière était exquise et au milieu du silence toute une débauche de nymphéas et de lotus de toutes les couleurs s'offrait à mes yeux ébahis. Depuis la grotte, le clocher de l'église qui s'élevait au-dessus des toits du Temple-Sur-Lot semblait tout droit sorti d'une page d'un roman de Marcel Proust. Tout invitait à s'attarder un peu plus encore et je ne m'en privai pas. Près de la fontaine, d'où on a une très jolie vue sur le village, je m'arrêtai un instant pour discuter avec les grosses carpes koi qui semblaient mener là une des meilleures vies de carpe koi que l'on puisse imaginer. C'est alors qu'un promeneur maladroit me heurta et manqua de me précipiter tête la première dans le bassin. Je me rattrapai de justesse, semant un mouvement de panique au sein des poissons qui s'égaillèrent dans tous les sens.

         Ce promeneur n'était autre Claude Monet lui-même qui sans s'excuser installait déjà son chevalet à l'endroit juste où je me trouvai.

        - Encore vous ? lançai-je à peine polie, mais que faites-vous là ? Vous n'êtes pas censé être venu jusqu'en lot-et-Garonne acheter vos nénuphars ni d'ailleurs avoir peint un seul jour de votre existence le clocher de l'église du Temple-Sur-Lot !

          Il haussa les épaules et me répondit :

         - Ma chère, vous apprendrez que l'Histoire est pleine de contradictions et de lacunes et comme il semble que vous n'ayez rien de mieux à faire que de vous ficher dans mes jambes chaque fois que je vais quelque part je vous charge donc de réparer cet oubli et de faire savoir par le moyen qui vous semblera le meilleur que j'ai peint le clocher de l'église du Temple-Sur-Lot une belle matinée de fin d'été. Sachez aussi que personne ne voudra ou ne pourra vous croire car si je ne l'ai pas détruite avant, cette toile ne sera terminée que dans cinquante ans dans votre espace temps et il est vraisemblable que vous serez déjà morte ou à peu près !

        Je n'ai pas retrouvé de trace de cette fichue toile sur internet ni dans aucune archive consacrée à Claude Monet. Il n'a pas souhaité figurer sur la photographie que j'ai prise de ce fameux clocher. Il m'a assuré que s'il vivait en 2016 il serait photographe. Mais je sens bien que vous n'allez pas me croire non plus.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Attention au chien !
Publicité
Attention au chien !
Publicité